Répétition générale de la fin du monde. Le nuage épais se forme et se déploie comme un monstre agenouillé qui se relèverait doucement pour se mettre debout. Démon calme et déterminé qui prend le temps de réfléchir à la sentence qu'il va infliger aux hommes qui le regardent, en dessous, le nez en l'air, dans leurs petits pulls rouges. Le vent souffle dans le micro. Le nuage avance, grossit, s'étend ; menace lente et décidée, il pousse comme un végétal filmé en accéléré ou un champignon atomique. Les volutes s'enroulent comme des petits tentacules, comme une grappe de pleurotes ; la fumée gris foncé devient plus claire à mesure qu'elle s'étale, en nappes, qu'elle remplit le ciel.

C'est très beau et sans doute très inquiétant pour celui qui observerait ça de trop près. Mais nous, ça va, on regarde le monde s'écrouler, de loin.  On voit le drame pousser, s'amplifier comme un son, prendre son temps, silencieux. C'est ce qu'on aime, regarder de loin.

L'humain qui est sur place a du mal à renoncer, à anticiper le drame tant que la fumée se déploie en un beau nuage. Il veut continuer à le regarder, le joli nuage, il ne lâche pas son appareil photo, recule un peu quand même. La grâce du mouvement, la beauté de la lenteur font oublier le danger.

Observer calmement ce qui va advenir, ce qui s'installe sans bruit mais qui va bientôt rendre l'air opaque et irrespirable, faire tousser, piquer les yeux, recouvrir tout d'une couche épaisse de cendres grises. Juste avant le désastre. Avant que la lave ne dévale la pente caillouteuse et ne recouvre les pieds, fige les jambes et pétrifie les silhouettes des petits hommes.

Quand il manque le son, des cris, des explications, on n'est plus très surs de ce qu'on voit, on reste incrédule. On regarde la force, la beauté hypnotique de l'image muette. Chez nous, le malheur s'observe de loin, sans le son, sur nos écrans. Sur l'écran des télés dans les bars, un tremblement de terre est un spectacle, et la musique de la bande FM transforme les images en un clip improbable.

On attend que ça dégouline, on attend la chute. Moi, c'est ce que je préfère regarder, les volcans, sur Internet. Et les inondations aussi.

 

Regarder tout dégouliner, couler, derrière l'écran, le monde qui se vide dans les toilettes du web. Le monde qui s'écoule dans un bruit de chasse d'eau.